18 mars 2001, Maison de la famille Nikolov, Moscou
« C'est un bain de sang capitaine, j'ignore ce qui s'est passé ici, mais ça ressemble à la dernière fois... »
L'officier scrutait la pièce d'un air de dégoût, deux corps inanimés gisaient sur le sol, baignant dans une marre de sang. Ce n'était pas la première fois qu'une telle chose se produisait dans cette ville et les précédentes enquêtes n'avaient menées à rien jusque là aucun indice, toujours le même scénario. Un couple étendu sur le sol, côte à côte, pas de trace d'effraction, ni de vol, mais des marques de morsures dans le cou des victimes, comme une signature.
« Par ici ! Il y a une survivante ! »Immobile blottit contre le mur, une petite fille aux yeux verts était resté là tout ce temps, elle avait vu ses parents se faire massacrer sous ses yeux et n'avait rien pu faire pour les aider.
20 mars 2001, Commissariat de police, Moscou
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On recommence depuis le début Kyara. Où et quand es-tu née ?-
Je suis née à Moscou, le 12 avril 1993-
Bien, comment s’appelaient tes parents ?-
Natalya et Nikolaï Sokolov-
Que leur ait-il arrivé ? Que s'est-il passé cette nuit là ?Le regard de la petite fille s'assombrit une nouvelle fois, la peur se lisait clairement sur son visage si innocent et ses mains se mirent à trembler violemment. Elle baissa légèrement la tête, posant son regard sur la petite plaque argentée disposée sur le bureau de la personne en face d'elle, son regard se vidait littéralement et les souvenirs remontaient à la surface.
Il était tard et quelqu'un frappait à la porte, la pluie battante claquait contre les fenêtres et le tonnerre grondait.
« Je reviens Kyara, reste là », Nikolai Sockolov embrassa le front de sa fille avant de quitter la pièce, la petite était terrorisée par l'orage et la faible lumière qui provenait du couloir ne suffisait pas à la rassurer. Protégée par sa couverture, elle se dirigeait vers la lumière, s'asseyant devant la porte entre-ouverte pour regarder son père, il était le seul qui l'a rassurait toujours quand elle avait peur, il savait toujours quoi dire pour la rassurer et elle se sentait mieux, rien qu'en le voyant. Il semblait en pleine discussion avec un homme vêtu d'un costume, Kyara ne l'avait jamais vu auparavant, il était grand, ses cheveux noirs mouillés par la pluie, il semblait élégant et impressionnant. Le tonnerre grondait de plus en plus fort, mais la petite fille savait qu'elle n'avait pas le droit de retourner dans le salon à cette heure-ci, elle grelottait, recouverte quasiment entièrement par sa couverture, seul ses yeux dépassaient, le ton semblait monter entre les deux hommes et la belle Natalya les avait rejoint, prenant place aux côtés de son époux, soudain l'homme en noir poussa violemment Nicolaï contre le mur, effrayée l'enfant recula brusquement, c'est alors elle entendit sa mère hurler, elle se leva brusquement, manquant de tomber à la reverse et s'apprêta à sortir. « Non ! », cria sa mère et la petite fille se stoppa, elle eu le réflexe de regarder l'assaillant de ses parents, un visage qui lui semblait inhumain, des traits durcit par la rage et les yeux d'un démon assoiffé de sang, celui qu'elle avait vu dans son livre d'histoire, celui du monstre de ses cauchemars. Paralysée là, incapable de faire le moindre geste, elle ne voyait plus rien et soudain le noir envahit la pièce.
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C'était un monstre... Il était comme nous, puis il a changé et ...Elle s'arrêta là, incapable de rajouter quoi que ce soit. Griffonnant quelques mots sur son carnet, la vieille dame aux cheveux argentés ne semblait pas satisfaite de cette réponse, elle ne cessait de tournoyer son crayon entre ses doigts, fixant l'enfant qui ne bougeait pas et qui avait l'air totalement ailleurs.
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On va s'arrêter là, je te remercie Kyara.Sortant de la pièce, sa tante était là, discutant avec un policier, entendant la porte se refermer la jeune femme tourna la tête vers Kyara et lui adressa un léger sourire. La petite fille quant à elle ne souriait pas, son regard s'était vidé et ses pensées étaient mélangées à de la peur et de la douleur, pourtant les larmes ne coulaient pas, elle n'arrivait plus à pleurer.
30 mars 2011, Budapest
« Mlle Sokolov ? Vous pouvez entrer, Madame Varga va vous recevoir. » Debout devant la porte entrouverte, Kyara s'avança dans le bureau, s'installant comme à son habitude sur le large fauteuil de cuir noir de la psychologue. Elle restait là, immobile, fixant droit devant elle, tandis qu'une femme d'une quarantaine d'année à l'allure élégante était installé à son bureau, griffonnant dieu-sait-quoi sur un carnet. Cela faisait maintenant dix-ans jour pour jour que la jeune femme s'était installée à Budapest avec sa tante, la soeur de son défunt père, toutes deux avaient eu cruellement besoin de changer de vie, s'éloignant de leurs mauvais souvenirs à Moscou et plus particulièrement de cette nuit tragique. Kyara quant à elle avait dû repartir de zéro, tentant d'oublier tant bien que mal ce qu'elle avait vu, ou plutôt ce qu'elle avait cru voir, car oui, d'après tout les éminents médecins qui s'étaient succédé pour étudier son cas, elle souffrait de stress post-traumatique et son cerveau avait remplacé des éléments de la réalité par quelques choses provenant de son imagination. Une simple hallucination et ce visage blanc comme la neige, ces yeux rouges comme le sang, ces crocs acérés comme des lames de rasoir ne provenait que des frayeurs imaginaires d'une enfant fragile et apeurée. C'était trop simple, trop simple de dire qu'une enfant était tout simplement trop jeune pour savoir ce que la mort voulait dire, qu'elle était trop jeune pour voir clairement l'horreur d'un monstre sanguinaire, d'un simple assassin, un être humain déviant du droit chemin. C'est forgée par ces paroles que la jeune femme avait grandis, réprimant ses peurs au plus profond d'elle-même, tentant de croire tout ce qu'on lui répétait chaque jour depuis dix longues années et d'oublier ce qu'elle était intimement convaincue d'avoir vu. Pourtant, elle ressentait une étrange sensation et cela habitait chacun de ses rêves, de ses cauchemars, depuis cette fameuse nuit, ses visions étaient tellement précises qu'elle avait l'impression de revivre la mort de ses parents à chaque fois qu'elle fermait les yeux et parfois même quand elle les avait ouverts. C'était horrible, elle vivait dans la peur de s'endormir, elle se gavait de médicament en tout genre, cherchant à tomber dans un sommeil trop profond pour pouvoir se rappeler de ses rêves une fois réveillé. Pourtant, la jeune femme avait abandonné, elle en avait marre de lutter contre la logique et de voir sur les visages de parfaits étrangers cet air de pitié, d'incompréhension. « Tu as passé l'âge de croire au grand méchant loup et toutes ces histoires à dormir debout... » Si seulement c'était si simple, s'il suffisait de le vouloir pour cesser d'y croire.
« C'est notre dernière séance aujourd'hui, tu as fait de gros progrès et je pense que tu n'as plus besoin de mon aide, mais si d'aventure tu en ressentais le besoin, tu pourra toujours venir me voir. » Ces mots sonnaient comme une libération aux oreilles de la jeune Russe, elle avait passé plus de la moitié de sa vie à espérer que ce cauchemar cesse et elle avait l'impression que la fin était plus proche maintenant, elle pourrait enfin avoir la vie normal à laquelle elle aspirait, loin de ses souvenirs en Russie. Ces pensées lui firent esquisser un sourire, une chose qui ne lui arrivait plus aussi souvent que lorsqu'elle était enfant, elle avait perdu sa joie de vivre depuis bien longtemps et avait l'impression de vivre en étant restée cette petite fille effrayée par le tonnerre, caché en boule dans sa couverture. Pourtant, elle voulait être forte, assez pour pouvoir se dire que sa vie ne se résumait pas à un événement.
15 avril 2015, un bar de Budapest
« Une autre tournée ma jolie ! » Kyara se retourna en direction des deux hommes au bar, leur servant un sourire forcé en hochant la tête avant de préparer leur commande. Elle travaillait ici depuis deux ans, la situation financière de sa tante n'était plus celle qu'elle était et elle avait pris un emploi à mi-temps afin de l'aider à s'en sortir. C'était la moindre des choses, elle avait tellement fait pour elle, sa tante avait toujours été là et l'avait toujours encouragé à faire ce qu'elle voulait dans la vie, la jeune femme était plutôt heureuse. Elle avait ses démons, mais elle apprenait à vivre avec eux, elle commençait enfin à penser à un avenir plus serein, elle prenait des cours de médecine et quand elle n'avait plus le né dans ses bouquins, elle servait au bar, ce n'était pas l'idéal et cette vie était épuisante c'est vrai, mais c'était temporaire et ça ne lui faisait pas de mal de sortir de sa routine. Bien sûre elle ignorait toujours les activités souterraine de Budapest, le monde de la nuit et de la magie, elle avait passé tellement de temps à se convaincre que cela n'existait pas, qu'elle risquait d'avoir du mal à revenir en arrière si d'aventure elle devait apprendre la vérité sur la noirceur qui l'entourait...