Tout ce que tu as donné, tu peux le récupérer. Tout ce que tu as pris, tu peux le garder. Libre à toi d'en faire bon usage ou pas. Le seul prix à payer sera la mort ou l'éternité.
Vienne - 1819 - le sablier annonce encore: 52 ans
L'Autriche. La grande, la belle et somptueuse Vienne vivait tranquillement et paisiblement au rythme de la monarchie. La musique, la peinture, la littérature prenaient une place de maître dans la capitale, tandis que le XVIIIeme siècle touchait à sa fin. Appuyé sur le rebord de la fenêtre de l'atelier de son père, il scrutait paisiblement la rue et les passants. Au coin de la rue, un petit groupe de bohémiens jouait un air célèbre qui rendait la matinée que plus belle et rayonnante. Les passants flânaient dans les ruelles du quartier artistique sur un air célèbre et joyeux que jouait un groupe de bohémiens. Caesar passait une majorité de son temps dans l'atelier où il apprenait la peinture en échange de quelques Korona (monnaie d'autriche-hongrie) afin de payer une belle retraite à sa chère et tendre mère. Monsieur Hofer était mort peu de temps avant et avait laissé à sa famille de quoi vivre aussi convenablement qu'avant, mais surtout, il avait donné sa vie pour sauver sa tendre épouse d'une terrible maladie. Un choix héroïque et pas moins contre nature que Caesar n'abordait, ô grand jamais avec sa mère.
Chaque matin, il aimait regarder la belle Andjela revenir du marché d'un pas sautillant et diaboliquement gracieux. Tous les hommes de Budapest dévoraient la blonde du regard et donneraient tout pour qu'elle accepte de se rendre au bal de la capitale avec eux. Malheureusement, la jeune femme aux cheveux d'or paraissait aussi inaccessible que la lune et refusait chacune de leurs invitations. Ce jour là, au lieu de tourner à droite, en direction de l'opéra, elle passa la porte de l'atelier Hofer. «
Bonjour, je cherche le propriétaire de cet atelier. » «
C'est moi, enfin ce bâtiment appartenait à mon père, mais j'en suis l'héritier, puis-je vous aider ? » «
Eh bien, j'aime beaucoup la peinture, mais mon père ne souhaite pas que je poursuive ma passion, alors je cherchais un endroit où je pourrais continuer et surtout entreposer mes peintures. Je ne veux vous forcer en rien. » Les yeux de Caesar ne pouvaient se détacher un seul instant de ceux de la jeune femme, une rencontre hasardeuse qui changea grandement la vie du petit violoncelliste. Un bal. Un mariage. Une vie de couple parfaitement plaisante. Peu de temps après ce jour, sa chère et tendre mère d'un âge assez avancé décéda et le jeune homme s'installa avec son épouse dans un appartement près de l'opéra.
Vienne - 1823 - le sablier annonce encore : 10 ans
Une larme coula le long de sa joue, tandis qu'elle serrait encore contre elle le nouveau né. Caesar se tenait assis sur le rebord du lit contempla la merveille qui venait de naître, leur fille.
Alice. L'homme attrapa la main de sa femme, mais celle-ci la repoussa. Andjela était partagé entre colère et tristesse, un sentiment qu'aucune mère ne devrait ressentir le jour où elle donne la vie. Pourtant, ce jour n'avait rien d'un jour parfait pour la petite famille Hofer. La médecine de l'époque était bien moins prodigieuse que de nos jours, si bien que la mère et son enfant seraient morts sur le coup, s'il n'avait pas utilisé son don. Seulement, toute magie a un prix et surtout des limites. «
Je suis désolé chérie, mais je ne pouvais pas choisir entre vous deux. » «
Comment allons-nous faire maintenant ? Dans dix ans, nous la laisserons seule face au monde ? En sachant qu'elle ne passera jamais la vingtaine ? Et qui lui expliquera tout ça ? » Sans hésiter une seule seconde, il avait distribué la presque totalité de ses années de vie aux deux mourantes, mais sa femme n'avait pas totalement tord, son choix engendrait forcément des conséquences et ils devront les payer un beau jour. Seulement, Caesar était un homme optimiste et préférait profiter du moment présent. «
Nous avons encore quelques années devant nous pour trouver une solution, mais au moins, nous sommes ensemble. » L'homme attrapa la douce main de son épouse qui cette fois se serra à son tour, l'union fait la force, pour le meilleur et pour le pire.
Les années passèrent. Alice grandissait rapidement, trop rapidement aux yeux de ses parents. L'un comme l'autre se montraient très protecteurs avec leur progéniture, la couvrant ainsi de cadeaux et d'amour. Les premières disputes et tensions apparurent très rapidement et s'intensifiaient à l'approche de la date butoir. La mère souhaitait donner l'intégralité de ses années à sa fille, mais Caesar refusait, peut-être pas égoïsme, à moins que cela ne soit par faiblesse, mais il était parfaitement incapable de prendre la vie de sa femme et encore moins pour n'offrir que cinq petites années supplémentaires à sa fille. A défaut de trouver des solutions, il décida de faire des recherches dans les vieux grimoires de son père, découvrant ainsi une chose qui pouvait sauver chaque membre de sa famille. Sa magie pouvait réaliser des souhaits en échange d’année de vie, seulement il devait lui-même les mettre en jeu avant de les récolter. Intérieurement, il savait parfaitement que c’était mal, mais il savait que c’était leur dernière chance.
Vienne - 1831 - le sablier annonce encore : 2 ans
«
J'accepte. » La lame tranche légèrement la main de l'inconnu, puis celle du sorcier, afin de sceller ce pacte. Caesar se sentait coupable d'agir ainsi et de profiter ainsi du malheur des autres. L'échange n'était pas très juste, mais la faim justifiait largement les moyens. Le sorcier se contenta de prendre que quelques petites années à l'inconnu, des petites années qui donneront encore un peu de temps à la famille Hofer. C'était son premier pacte. La première fois qu'il échangeait un peu de magie contre de la vie et surtout, la première fois qu'il en prenait à quelqu'un. Un sentiment étrange de se sentir pour la première fois dépendant des autres et en même temps infiniment supérieur et puissant. L'inconnu avait souhaité obtenir quelques centimètres en dessous de la ceinture, un souhait qui ne demandait pas beaucoup de magie et par conséquent peu d'années de vie, néanmoins, par nécessité, Caesar en demanda plus que besoin, histoire d'obtenir un bénéfice. L'homme qui ne semblait pas très malin, aurait accepté pour n'importe quelle somme, du moment qu'il puisse profiter de son nouveau jouet, mais le père de famille n'était pas si malhonnête et se contenta du minimum. Une fois le pacte scellé, les deux hommes se quittèrent sans faire de bruit laissant les rues de Vienne à la nuit.
Caesar poussa les portes de l'appartement. Alice dormait paisiblement dans son lit, tandis que sa mère terminait la vaisselle. En réalité, elle attendait son mari. Cela faisait des jours que ce dernier semblait préoccupé et Andjela le connaissait suffisamment pour savoir que cela n'annonçait rien de bon. «
Où étais-tu passé ? Je me suis faite du soucis. Regarde-toi, on dirait que tu as vu un fantôme. » L'homme était pâle, du moins, plus que d'habitude et ne semblait pas vraiment dans son assiette. Ne pouvant définitivement pas cacher la nouvelle à sa femme, il lui raconta tout en détail. «
Tu as volé cet homme ? » «
On peut survivre et je te promets qu'il lui reste bien assez de temps pour vivre une vie heureuse. » La jeune femme semblait perplexe. Perdue entre son coeur et la raison, les frontières du bien et du mal semblaient définitivement détruites. Bien sûr, elle était heureuse de savoir que sa fille pourrait avoir des parents et surtout qu'elle pourra grandir comme presque tous les enfants du pays, mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver cela plus que contre nature. «
Écoute, je n'en veux pas. Ma vie n'est pas très importante. Je veux juste qu'Alice et toi puissiez avoir une belle et heureuse vie, ni plus, ni moins. Et surtout, ne change pas Caesar, tu es une bonne personne, je le sais. » L'homme refusa dans un premier temps, mais il aimait bien trop sa femme pour agir contre son gré. Le sorcier se glissa dans la chambre de sa fille et lui fit don de quelques années supplémentaires.
Vienne - 1848 - le sablier annonce encore : 41 ans
«
J’espère que Carl n’a pas encore oublié ses partitions, j’aime pas quand on doit suivre à deux... » L’imposant Opéra de Vienne se tenait juste devant eux, majestueusement perché sur ses marches. Ce soir, tout le gratin de la ville montra les marches, bien plus souvent à la recherche de prestige que de musique. Alice Hofer avait eu la chance de rentrer dans l’orchestre de la cour et de jouer les plus belles symphonies de l’histoire, au plus grand bonheur de son père. «
Tu veux de l’aide pour monter ton violoncelle jusqu’en haut ? » «
Papa, je suis grande, je ne pense pas que se sont ses marches qui vont m’avoir. » Une bise rapide sur la joue et la jeune fille grimpait déjà les nombreuses marches en pierre, avant de disparaître par la grande porte. Caesar la regardait avec un certain sourire aux lèvres. Il était fière de sa fille et surtout heureux d’avoir tenu sa promesse. Au lendemain de sa mort, il avait enchaîné de nombreux petits pactes pour récolter assez d’années pour vivre une vie paisible en compagnie de sa fille. Cela faisait maintenant quinze ans qu’Andjela était partie et pas un jour sans qu’il ne repense à elle, mais il espérait au plus profond de lui qu’elle puisse voir ce que leur chère fille était devenue.
Tandis que la jeune fille répétait pour la grande représentation de fin de mois, Caesar décida de prendre un verre dans le café d'un vieil ami. Un endroit modeste, mais pas moins chaleureux, où ils avaient au moins le mérite de servir du bon café. La plupart des clients étaient des habitués que le sorcier connaissait désormais très bien. Certain comme le mathématicien, l'ancien soldat et le journaliste étaient même devenus de très bons amis. Caesar commanda un café, puis naturellement, il s'installa aux côtés de ses amis qui discutaient autour du journal du jour. «
Je ne leur donne pas une semaine pour se retrouver dans la même situation que la France. » «
Encore un article du roi ? » «
Tu ferais mieux de lire ça. » Les tensions dans le pays à l'échelle de l'Europe ne faisaient que d'empirer et de nombreux conflits explosaient un peu partout dans la ville. Les gens vivaient la plupart du temps enfermé chez eux, évitant de trop traîner dehors. Les quatre compagnons, tous assez instruit pour en parler, discutaient de la situation, certains envisageaient même de quitter la ville pour la campagne pour quelques temps. Caesar, quant à lui, avait effectivement envisagé cette option, mais savait parfaitement que sa fille ne le suivrait pas. Les heures passèrent, puis il était temps de rejoindre sa chère fille.
Vienne - 1848 - le sablier annonce encore : 41 ans
«
Ou est-elle ?! Carl, où est Alice ?! » «
Je ne sais pas Monsieur Hofer, elle était avec moi, mais ils sont rentrés avec des armes, on a été séparé, je suis désolé Monsieur ! » Les gens courraient partout en criant et en pleurant. On pouvait déjà trouver certains cadavres allongé sur les marches de l'opéra. La grande représentation royale avait été victime d'une émeute de bas peuple qui se révoltait chaque jour un peu plus contre le roi et son gouvernement. Caesar se faufilait à travers la foule à la recherche de sa fille en ne pouvant sempêcher de s'imaginer le pire. Plus de la moitié des soldats de la ville avaient accouru à l'opéra et se donnaient corps et âme dans un combat sanguinaire. Des enfants fourches à la main se battaient, ainsi que des femmes et des vieillards. Un véritable cauchemars symphonique orchestré par la mort. Le sorcier, pacifiste convaincu avait peur. Peur pour lui et peur pour sa fille qui pouvait se trouver n'importe où dans ce labyrinthe de couloirs. Puis, alors qu'il pensait avoir vu le pire, il la trouva, allongé sur le sol. Accablé par la souffrance, il s'agenouilla près du corps inerte et lui attrapa la main. Son don ne servait plus à rien, elle n'était déjà plus de ce monde et aucune magie ne pourrait changer cela. Alice, sa Alice était morte.
Si Caesar avait surmonté la mort de sa femme, c'était avant tout grace à sa fille, mais maintenant qu'il avait tout perdu, il n'avait plus aucune raison de se battre. Les jours qui suivirent, il tenta de mettre fin à ses jours, mais il en était parfaitement incapable, si bien qu'il décida d'aider des gens en détresse au péril de son propre capital vie. Des pactes qui puisaient directement dans ses années, sans qu'il touche le moindre bénéfice. Il quitta Vienne et vagabonda quelques temps sur les routes d'Autriche, à la recherche d'âmes perdues qu'il pourrait aider. La fin arrivait et il pensait être prêt à partir et quitter à jamais se monde de souffrance, mais au dernier moment, il craqua et fit un pacte. Caesar c'était trompé, il n'était pas prêt à mourir et ressentait une terrible peur à ne devenir que cendres. L'homme avait honte de ce qu'il était devenu.
Budapest - 2015 - le sablier annonce encore : 128 ans
«
Je pense Monsieur Von Haas, qu'il serait peut-être temps de prendre des vacances et je suis presque certain qu'après un peu de repos, vos cours se passeront bien mieux. Je veux conseille l'Italie, c'est un magnifique pays, vraiment. » Le client, comme toujours se trouve allongé dans le fauteuil au centre de la pièce. Caesar quant à lui, se tient non loin de là dans une chaise confortable. Il prend son travail très à coeur et ne démérite pas sa réputation de meilleur psychologue de Budapest. Il faut dire qu'aucun de ses clients n'est ressortis mécontent de ce cabinet. Après la seconde guerre mondiale, apogée de son petit commerce, le sorcier c'était lancé dans des études de psychologie et avec même obtenu une thèse. Exercer ses fonctions, lui permettait d'allier le plaisir d'aider les gens et un moyen de survie. Sur tous ses clients, certains étaient bien plus perdus que ce pauvre professeur dépassé par ses lycéens et il était assez simple de les pousser à faire un pacte. «
Au fait Monsieur Hofer, mon frère tenait à vous remercier, il va beaucoup mieux désormais. D'ailleurs, vous savez qu'il a gagné au loto ? Une chance pour lui, sans cela, il aurait du vendre son affaire. »
Toute sa vie le sorcier s'est demandé si ce qu'il faisait était bien ou mal, mais il se souvenait de ses sourires, de ses larmes. Après tout ce temps passé à vagabonder sur les routes du continent en aidant les gens, il avait fini par se persuader lui-même de faire le bien de faire le bien. Plus longtemps il vivra, plus longtemps il pourra rendre service aux gens. Un mal pour un bien.
J'ai choisi l'éternité et vous quel fardeaux auriez-vous endossé ?