Plusieurs jours que Mihaela travaille sans prendre de jour de repos, mais la demoiselle n’est guère dérangée. Ses nuis sont profondes et sans rêve, et cela la prive de cogiter sur celles qui vont arriver, celles où elle ne sera plus tout à fait elle. A chaque période lunaire, la problématique est la même : quel remède pour atténuer les effets des transformations, quelles techniques pour maîtriser un peu mieux ce processus où elle bascule de l’humanité à la bestialité ? En six ans, Miha n’a encore rien trouvé qui lui convienne totalement – et de plus en plus souvent, elle regrette de ne pas avoir eu de mentor.
Bosser comme une tarée lui permettait de ne pas penser à ça ; et c’était précisément ce qu’elle se disait en rangeant les stocks de boissons du bar d’Eliza, lorsque les délicates sonorités d’une voix bien particulière la firent immédiatement redresser la tête. Un sourire se dessina benoîtement sur ses commissures et elle sortit en trombe des réserves, un plateau sous le bras. « Voilà voilà, pas besoin de se dépoiler, j’arrive … » chantonna la rouquine comme si de rien n’était, comme si elle avait toujours été là depuis le début et que Leonora n’était pas aussi impatiente que grande gueule. Marchant tranquillement jusqu’à arriver pile en face de la grande brune, la plus jeune lui fit face, lui offrant sa frimousse la plus enthousiaste possible – pas qu’elle cherchât réellement à se moquer de la violoniste, mais plutôt à la faire redescendre des grands chevaux sur lesquels elle s’apprêtait à monter, comme à l’accoutumée. « Léo ! Quel plaisir d’te voir ici ! Ou plutôt de t’entendre. » Parce que si tous les clients du bar ne l’avaient pas remarquée, maintenant, c’était chose faite.
« Qu’est-ce que je te sers ? » Dit comme ça, Miha se sentait l’âme de ces barmaids qu’on voyait dans les films, celles à qui tous les quidams confiaient leurs malheurs et leurs dilemmes. Elle jeta un coup d’œil dans la direction de Léo avant de se pencher pour attraper un verre propre « Gaffe, y a des voleurs qui traînent parfois ici à la recherche de proies faciles, ce serait con que ton porte-feuille en fasse les frais. » Anodine au possible, la hongroise n’avait pourtant rien loupé de l’allusion de son aînée. Elle l’avait même saisie au vol – et parfois, dans ce genre d’instants, elle remerciait ce fichu porte-monnaie d’avoir été un peu trop visible la première fois qu’elles s’étaient croisées.
Cela lui avait permis de l’approcher d’une façon certes peu conventionnelle – on ne volait que rarement ses futures amies – mais Mihaela n’avait pas trouvé de meilleure tactique. Et puis au delà de ses élans d’autoritarisme et sous ses airs revêches, la volée avait fini par se révéler plus amicale et surtout beaucoup plus mystérieuse que prévu. Si la rousse n’avait pas immédiatement perçu l’animal qui sommeillait en elle, c’était présentement parce que celui-ci était si muselé que la rouquine s’y était reprise à plusieurs fois avant de se concentrer suffisamment pour comprendre qu’elles étaient consoeurs – et cela avait infiniment renforcé son désir de graviter autour d’elle. Si elle avait du avoir une aînée, nul doute que Leonora aurait parfaitement fait l’affaire.
La benjamine observa d’un air rêveur le fourreau de tissu qui enveloppait un instrument de musique on ne peut plus identifiable. « La vache. Tu comptes t’entraîner pour jouer un petit solo au clair de Lune ? » La plaisanterie n’était qu’à moitié contrôlée et Miha se mit instantanément une gifle mentale pour avoir osé évoquer avec la finesse d’un hippopotame la pleine Lune à venir. Vraiment ? SI elle était une louve comme elle, c’était bien le dernier sujet à aborder … Et elle, elle mettait les pieds dedans en un seul saut périlleux. Ne restait plus qu’à habilement rattraper la blague qui menaçait d’être vaseuse – et on pouvait compter sur Vacaresco pour avoir se raccrocher aux branches pour éviter de s’écraser au sol. « Tu sais, façon … Bach. Enfin le musicien à moitié sourd, là. J’y connais vraiment rien à ces passions de riches. » bougonna la jeune fille. Merci à son flagrant manque de culture, excuse convaincante quand on la connaissait un minimum.
Leonóra Keresztély
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Sujet: Re: If it wasn't for you (w/Mihaela) Sam 6 Juin - 18:38
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Sujet: Re: If it wasn't for you (w/Mihaela) Mar 16 Juin - 17:54
La cadette attrapa avec dextérité la bouteille d’alcool et l’ouvre pour déverser une partie de son contenu dans un verre qu’elle tend à Leonora. Tout cela n’a pris que quelques secondes et la jeune fille accompagne même le tout d’un sourire – preuve que ce métier est décidément, sinon fatigant et pas nécessairement très bien rémunéré, fait pour elle. « Et tiens, une boisson de bonhomme, une. Cadeau de la maison. » A ce compte et au titre de tous les verres que la jeune femme avait déjà bus et payés ici, celui-là pouvait bien être gratuit.
Ne prenant même pas la peine de relever sa remarque sur les fèves – qu’elle ferait mine de ne pas comprendre pour la forme -, Mihaela rangea le whisky et soupira. « Oui ben tu devrais savoir que la culture et moi ça fait … au moins deux. » La rouquine haussa les épaules, n’essayant même pas de se cacher derrière des prétextes inventés de toute pièce. Elle n’a jamais été férue d’art et n’en a pas eu l’occasion ou l’éducation adéquate. Cela aurait pu être un regret de sa part, mais Miha ne se sentait pas particulièrement motivée à combler un fossé béant de références culturelles : à son âge, on ne changeait plus vraiment, pensa t-elle comme l’adulte pantouflarde qu’elle méprisait déjà être. « J’voudrais bien faire un effort et assister à un de tes concerts un de ces soirs mais je me vois pas trop en robe de satin et en fourrure chic … » Elle interrompit son imitation de bonne samaritaine qu’elle avait commencée pour adresser à Leonora un joyeux sourire plein de malice. Evidemment, elle se moque encore d’elle, mais comme à chaque fois ses plaisanteries ne sont que l’ombre de son affection. Mihaela appréciait trop la compagnie de la violoniste pour s’arrêter sincèrement à de simples préjugés sur ses passions. Si à l’inverse, l’aînée n’avait fait que la considérer depuis leur première rencontre par ses origines populaires et son manque flagrant de certaines bonnes manières, la jeune serveuse l’aurait très mal pris. Et puis peut-être bien qu’un de ces quatre, elle irait la voir jouer pour de vrai. Elle ne le lui dirait pas, parce qu’elle ne voulait pas qu’on se moque d’elle ou qu’on la voit tout simplement « déguisée » comme tous ces adorateurs de musique classique. Mais admirer son amie et pouvoir mesurer l’étendue de son talent, c’était quelque chose qu’elle avait vraiment envie de concrétiser.
La question météorologique de son interlocutrice ne souleva même pas un sourcil chez elle. Depuis le temps, elle avait pressenti en Leo les prémices d’un être semblable, les traits du congénère se dessinant progressivement à elle. Ce n’était que depuis très récemment que Mihaela avait réalisé que cette intuition, cette entente entre elles pouvait autant s’expliquer par leurs points communs que par leurs affinités animales. Si elle était comme elle, si elle était elle aussi une louve, les jours – et surtout la nuit – à venir seraient sa principale source de préoccupation. Ce qui contrebalançait avec cette certitude de plus en plus appuyée sur la nature lycane de la trentenaire, c’était la difficulté, l’irrégularité avec laquelle la bête s’exprimait au travers d’elle. Comme si l’humaine avait délibérément choisi de nier, d’étouffer le loup. « Le temps va être bien dégagé cette nuit. On loupera pas une miette de la pleine Lune. » s’entendit distraitement dans un réflexe surprenant de précision la rouquine avant de rajouter, l’air de rien. « C’est cool, les étoiles seront visibles. » Une bien piètre consolation pour elle qui passerait toutes ces heures multiplement enchaînée et shootée pour en faire le moins possible. « Une sortie de prévu ? » Elle ne tenait absolument pas à jouer les commissaires en charge de l’enquête concernant le cas Keresztely. A vrai dire, sa voix n’est chargée d’aucune note suspicieuse. Elle se veut sinon compréhensive, calme et mesurée, dénuée de toute obligation. Leonora pouvait continuer à lui mentir, à lui cacher ce qu’elle était comme elle le faisait à elle-même avec un brio indéniable. Elle pouvait tout autant se décider à évoquer ce qui la rongeait sans comprendre, et ce même si l’oreille qui l’écoutait appartenait à une fille bien trop jeune et irréfléchie pour être supposée fiable.
En attendant, Mihaela était là et elle ne se défilait pas.
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If it wasn't for you (w/Mihaela)
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